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il vous donnera une tape, rendez-lui un soufflet ; lui un second, vous un troisième ; et puis allez chacun de votre côté. Dans la suite, nous vous ferons faire la paix. Tandis que maintenant… Est-ce une bonne action de tuer son prochain ? oserais-je vous demander. Encore si c’était vous qui dussiez le tuer ! que Dieu soit avec lui, car je ne l’aime guère. Mais, si c’est lui qui vous perfore, vous aurez fait un beau coup. Qui est-ce qui payera les pots cassés ? oserais-je vous demander. »

Les raisonnements du prudent officier ne m’ébranlèrent pas. Je restai ferme dans ma résolution.

« Comme vous voudrez, dit Ivan Ignatiitch, faites ce qui vous plaira ; mais à quoi bon serai-je témoin de votre duel ? Des gens se battent ; qu’y a-t-il là d’extraordinaire ? oserais-je vous demander. Grâce à Dieu, j’ai approché de près les Suédois et les Turcs, et j’en ai vu de toutes les couleurs. »

Je tâchai de lui expliquer le mieux qu’il me fut possible quel était le devoir d’un second. Mais Ivan Ignatiitch était hors d’état de me comprendre.

« Faites à votre guise, dit-il. Si j’avais à me mêler de cette affaire, ce serait pour aller annoncer à Ivan Kouzmitch, selon les règles du service, qu’il se trame dans la forteresse une action criminelle et contraire aux intérêts de la couronne, et faire observer au commandant combien il serait désirable qu’il avisât aux moyens de prendre les mesures nécessaires… »

J’eus peur, et suppliai Ivan Ignatiitch de ne rien dire au commandant. Je parvins à grand’peine à le calmer. Cependant il me donna sa parole de se taire, et je le laissai en repos.

Comme d’habitude, je passai la soirée chez le commandant. Je m’efforçais de paraître calme et gai, pour n’éveiller aucun soupçon et éviter les questions importunes. Mais j’avoue que je n’avais pas le sang-froid dont se vantent les personnes