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toute rouge, et des larmes roulèrent jusque sur son assiette. J’eus pitié d’elle, et je m’empressai de changer de conversation.

« J’ai ouï dire, m’écriai-je avec assez d’à-propos, que les Bachkirs ont l’intention d’attaquer votre forteresse.

– Qui t’a dit cela, mon petit père ? reprit Ivan Kouzmitch.

– Je l’ai entendu dire à Orenbourg, répondis-je.

– Folies que tout cela, dit le commandant ; nous n’en avons pas entendu depuis longtemps le moindre mot. Les Bachkirs sont un peuple intimidé, et les Kirghises aussi ont reçu de bonnes leçons. Ils n’oseront pas s’attaquer à nous, et s’ils s’en avisent, je leur imprimerai une telle terreur, qu’ils ne remueront plus de dix ans.

– Et vous ne craignez pas, continuai-je en m’adressant à la femme du capitaine, de rester dans une forteresse exposée à de tels dangers ?

– Affaire d’habitude, mon petit père, reprit-elle. Il y a de cela vingt ans, quand on nous transféra du régiment ici, tu ne saurais croire comme j’avais peur de ces maudits païens. S’il m’arrivait parfois de voir leur bonnet à poil, si j’entendais leurs hurlements, crois bien, mon petit père, que mon cœur se resserrait à mourir. Et maintenant j’y suis si bien habituée, que je ne bougerais pas de ma place quand on viendrait me dire que les brigands rôdent autour de la forteresse.

– Vassilissa Iégorovna est une dame très brave, observa gravement Chvabrine ; Ivan Kouzmitch en sait quelque chose.

– Mais oui, vois-tu bien ! dit Ivan Kouzmitch, elle n’est pas de la douzaine des poltrons.

– Et Marie Ivanovna, demandai-je à sa mère, est-elle aussi hardie que vous ?