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cœur. Qu’as-tu besoin d’un touloup de seigneur ? Tu ne pourrais pas même le mettre sur tes maudites grosses épaules.

– Je te prie de ne pas faire le bel esprit, dis-je à mon menin ; apporte vite le touloup.

– Oh ! Seigneur mon Dieu ! s’écria Savéliitch en gémissant. Un touloup en peau de lièvre et complètement neuf encore ! À qui le donne-t-on ? À un ivrogne en guenilles. »

Cependant le touloup fut apporté. Le vagabond se mit à l’essayer aussitôt. Le touloup, qui était déjà devenu trop petit pour ma taille, lui était effectivement beaucoup trop étroit. Cependant il parvint à le mettre avec peine, en faisant éclater toutes les coutures. Savéliitch poussa comme un hurlement étouffé lorsqu’il entendit le craquement des fils. Pour le vagabond, il était très content de mon cadeau. Aussi me reconduisit-il jusqu’à ma kibitka, et il me dit avec un profond salut : « Merci, Votre Seigneurie ; que Dieu vous récompense pour votre vertu. De ma vie je n’oublierai vos bontés. » Il s’en alla de son côté, et je partis du mien, sans faire attention aux bouderies de Savéliitch. J’oubliai bientôt le bourane, et le guide, et mon touloup en peau de lièvre.

Arrivé à Orenbourg, je me présentai directement au général. Je trouvai un homme de haute taille, mais déjà courbé par la vieillesse. Ses longs cheveux étaient tout blancs. Son vieil uniforme usé rappelait un soldat du temps de l’impératrice Anne, et ses discours étaient empreints d’une forte prononciation allemande. Je lui remis la lettre de mon père. En lisant son nom, il me jeta un coup d’œil rapide : Mon Tieu, dit-il, il y a si peu de temps qu’André Pétrovich était de ton ache ; et maintenant, quel peau caillard de fils il a ! Ah ! le temps, le temps… »

Il ouvrit la lettre et si mit à la parcourir à demi-voix, en accompagnant sa lecture de remarques :

« Monsieur,