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élança du lit, tira vivement sa hache de sa ceinture et se mit à la brandir en tous sens. Je voulus m’enfuir, mais je ne le pus pas. La chambre se remplissait de cadavres. Je trébuchais contre eux ; mes pieds glissaient dans des mares de sang. Le terrible paysan m’appelait avec douceur en me disant : « Ne crains rien, approche, viens que je te bénisse ». L’effroi et la stupeur s’étaient emparés de moi…

En ce moment je m’éveillai. Les chevaux étaient arrêtés ; Savéliitch me tenait par la main.

« Sors, seigneur, me dit-il, nous sommes arrivés.

– Où sommes-nous arrivés ? demandai-je en me frottant les yeux.

– Au gîte ; Dieu nous est venu en aide ; nous sommes tombés droit sur la haie de la maison. Sors, seigneur, plus vite, et viens te réchauffer. »

Je quittai la kibitka. Le bourane durait encore, mais avec une moindre violence. Il faisait si noir qu’on pouvait, comme on dit, se crever l’œil. L’hôte nous reçut près de la porte d’entrée, en tenant une lanterne sous le pan de son cafetan, et nous introduisit dans une chambre petite, mais assez propre. Une loutchina l’éclairait. Au milieu étaient suspendues une longue carabine et un haut bonnet de Cosaque.

Notre hôte, Cosaque du Iaïk, était un paysan d’une soixantaine d’années, encore frais et vert. Savéliitch apporta la cassette à thé, et demanda du feu pour me faire quelques tasses, dont je n’avais jamais en plus grand besoin. L’hôte se hâta de le servir.

« Où donc est notre guide ? demandai-je à Savéliitch.

– Ici, Votre Seigneurie », répondit une voix d’en haut.

Je levai les yeux sur la soupente, et je vis une barbe noire et deux yeux étincelants.