Page:Pouchkine - La Fille du capitaine, 1901.djvu/23

Cette page n’a pas encore été corrigée

– Là, là, regarde… ce petit nuage. »

J’aperçus, en effet, sur l’horizon un petit nuage blanc que j’avais pris d’abord pour une colline éloignée. Mon cocher m’expliqua que ce petit nuage présageait un bourane.

J’avais ouï parler des chasse-neige de ces contrées, et je savais qu’ils engloutissent quelquefois des caravanes entières. Savéliitch, d’accord avec le cocher, me conseillait de revenir sur nos pas. Mais le vent ne me parut pas fort ; j’avais l’espérance d’arriver à temps au prochain relais : j’ordonnai donc de redoubler de vitesse.

Le cocher mit ses chevaux au galop ; mais il regardait sans cesse du côté de l’orient. Cependant le vent soufflait de plus en plus fort. Le petit nuage devint bientôt une grande nuée blanche qui s’élevait lourdement, croissait, s’étendait, et qui finit par envahir le ciel tout entier. Une neige fine commença à tomber et tout à coup se précipita à gros flocons. Le vent se mit à siffler, à hurler. C’était un chasse-neige. En un instant le ciel sombre se confondit avec la mer de neige que le vent soulevait de terre. Tout disparut. « Malheur à nous, seigneur ! s’écria le cocher ; c’est un bourane. »

Je passai la tête hors de la kibitka ; tout était obscurité et tourbillon. Le vent soufflait avec une expression tellement féroce, qu’il semblait en être animé. La neige s’amoncelait sur nous et nous couvrait. Les chevaux allaient au pas, et ils s’arrêtèrent bientôt. « Pourquoi n’avances-tu pas ? dis-je au cocher avec impatience.

– Mais où avancer ? répondit-il en descendant du traîneau. Dieu seul sait où nous sommes maintenant. Il n’y a plus de chemin et tout est sombre. »