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mieux écouter. Voyons, ne te fâche plus, faisons la paix.

– Ah ! mon père Piotr Andréitch, me répondit-il avec un profond soupir, je suis fâché contre moi-même, c’est moi qui ai tort par tous les bouts. Comment ai-je pu te laisser seul dans l’auberge ? Mais que faire ? Le diable s’en est mêlé. L’idée m’est venue d’aller voir la femme du diacre qui est ma commère, et voilà, comme dit le proverbe : j’ai quitté la maison et suis tombé dans la prison. Quel malheur ! quel malheur ! Comment reparaître aux yeux de mes maîtres ? Que diront-ils quand ils sauront que leur enfant est buveur et joueur ? »

Pour consoler le pauvre Savéliitch, je lui donnai ma parole qu’à l’avenir je ne disposerais pas d’un seul kopek sans son consentement. Il se calma peu à peu, ce qui ne l’empêcha point cependant de grommeler encore de temps en temps en branlant la tête : « Cent roubles ! c’est facile à dire ».

J’approchais du lieu de ma destination. Autour de moi s’étendait un désert triste et sauvage, entrecoupé de petites collines et de ravins profonds. Tout était couvert de neige. Le soleil se couchait. Ma kibitka suivait l’étroit chemin, ou plutôt la trace qu’avaient laissée les traîneaux de paysans. Tout à coup mon cocher jeta les yeux de côté, et s’adressant à moi : « Seigneur, dit-il en ôtant son bonnet, n’ordonnes-tu pas de retourner en arrière ?

– Pourquoi cela ?

– Le temps n’est pas sûr. Il fait déjà un petit vent. Vois-tu comme il roule la neige du dessus ?

– Eh bien ! qu’est-ce que cela fait ?

– Et vois-tu ce qu’il y a là-bas ? (Le cocher montrait avec son fouet le côté de l’orient.)

– Je ne vois rien de plus que la steppe blanche et le ciel serein.