Il n’y avait rien à faire. Je donnai à mon visage une expression d’indifférence, et, m’adressant à Savéliitch, je lui commandai de remettre cent roubles au petit garçon.
« Comment ? pourquoi ? me demanda-t-il tout surpris.
– Je les lui dois, répondis-je aussi froidement que possible.
– Tu les lui dois ? repartit Savéliitch, dont l’étonnement redoublait. Quand donc as-tu eu le temps de contracter une pareille dette ? C’est impossible. Fais ce que tu veux, seigneur, mais je ne donnerai pas cet argent. »
Je me dis alors que si, dans ce moment décisif, je ne forçais pas ce vieillard obstiné à m’obéir, il me serait difficile dans la suite d’échapper à sa tutelle. Lui jetant un regard hautain, je lui dis : « Je suis ton maître, tu es mon domestique. L’argent est à moi ; je l’ai perdu parce que j’ai voulu le perdre. Je te conseille, de ne pas faire l’esprit fort et d’obéir quand on te commande. »
Mes paroles firent une impression si profonde sur Savéliitch, qu’il frappa des mains, et resta muet, immobile. « Que fais-tu là comme un pieu ? » m’écriai-je avec colère. Savéliitch se mit à pleurer. « Ô mon père Piôtr Andréitch, balbutia-t-il d’une voix tremblante, ne me fais pas mourir de douleur. O ma lumière, écoute-moi, moi vieillard ; écris à ce brigand que tu n’as fait que plaisanter, que nous n’avons jamais eu tant d’argent. Cent roubles ! Dieu de bonté !… Dis-lui que tes parents t’ont sévèrement défendu de jouer autre chose que des noisettes.
– Te tairas-tu ? lui dis-je en l’interrompant avec sévérité ; donne l’argent ou je te chasse d’ici à coups de poing. » Savéliitch me regarda avec une profonds expression de douleur, et alla chercher mon argent. J’avais pitié du pauvre vieillard ; mais je voulais m’émanciper et prouver que je n’étais pas un enfant. Zourine eut ses cent roubles. Savéliitch s’