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mais ses idées étaient bien loin de là, et la lecture de ce livre ne produisait pas sur lui l’impression ordinaire. Il sifflait une vieille marche. Ma mère tricotait en silence, et ses larmes tombaient de temps en temps sur son ouvrage. Marie, qui travaillait dans la même chambre, déclara tout à coup à mes parents qu’elle était forcée de partir pour Pétersbourg, et qu’elle les priait de lui en fournir les moyens. Ma mère se montra très affligée de cette résolution.

« Pourquoi, lui dit-elle, veux-tu aller à Pétersbourg ? Toi aussi, tu veux donc nous abandonner ? »

Marie répondit que son sort dépendait de ce voyage, et qu’elle allait chercher aide et protection auprès des gens en faveur, comme fille d’un homme qui avait péri victime de sa fidélité.

Mon père baissa la tête. Chaque parole qui lui rappelait le crime supposé de son fils lui semblait un reproche poignant.

« Pars, lui dit-il enfin avec un soupir ; nous ne voulons pas mettre obstacle à ton bonheur. Que Dieu te donne pour mari un honnête homme, et non pas un traître taché d’infamie ! »

Il se leva et quitta la chambre.

Restée seule avec ma mère, Marie lui confia une partie de ses projets : ma mère l’embrassa avec des larmes, en priant Dieu de lui accorder une heureuse réussite. Peu de jours après, Marie partit avec Palachka et le fidèle Savéliitch, qui, forcément séparé de moi, se consolait en pensant qu’il était au service de ma fiancée.

Marie arriva heureusement jusqu’à Sofia, et, apprenant que la cour habitait en ce moment le palais d’été de Tsars-koïé-Sélo, elle résolut de s’y arrêter. Dans la maison de poste on lui donna un petit cabinet derrière une cloison. La femme du maître de poste vint aussitôt babiller avec elle, lui