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ajoutant qu’un supplice exemplaire aurait dû m’atteindre, mais que l’impératrice, par considération pour les loyaux services et les cheveux blancs de mon père, avait daigné faire grâce à un fils criminel ; et qu’en lui faisant remise d’un supplice infamant, elle avait ordonné qu’il fût envoyé au fond de la Sibérie pour y subir un exil perpétuel.

Ce coup imprévu faillit tuer mon père. Il perdit sa fermeté habituelle, et sa douleur, muette d’habitude, s’exhala en plainte amères. « Comment ! ne cessait-il de répéter tout hors de lui-même, comment ! mon fils a participé aux complots de Pougatcheff ? Dieu juste ! jusqu’où ai-je vécu ? L’impératrice lui fait grâce de la vie ; mais est-ce plus facile à supporter pour moi ? Ce n’est pas le supplice qui est horrible ; mon aïeul a péri sur l’échafaud pour la défense de ce qu’il vénérait dans le sanctuaire de sa conscience, mon père a été frappé avec les martyrs Volynski et Khouchlchoff ; mais qu’un gentilhomme trahisse son serment, qu’il s’unisse à des bandits, à des scélérats, à des esclaves révoltés, … honte, honte éternelle à notre race ! »

Effrayée de son désespoir, ma mère n’osait pas pleurer en sa présence et s’efforçait de lui rendre du courage en parlant des incertitudes et de l’injustice de l’opinion ; mais mon père était inconsolable.

Marie se désolait plus que personne. Bien persuadée que j’aurais pu me justifier si je l’avais voulu, elle se doutait du motif qui me faisait garder le silence, et se croyait la seule cause de mes infortunes. Elle cachait à tous les yeux ses souffrances, mais ne cessait de penser au moyen de me sauver. Un soir, assis sur son sofa, mon père feuilletait le Calendrier de la cour ;