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Je ne m’arrêterai pas au récit des événements de la guerre. Seulement je dirai que les calamités furent portées au comble. Les gentilshommes se cachaient dans les bois ; l’autorité n’avait plus de force nulle part ; les chefs des détachements isolés punissaient ou faisaient grâce sans rendre compte de leur conduite. Tout ce vaste et beau pays était mis à feu et à sang. Que Dieu ne nous fasse plus voir une révolte aussi insensée et aussi impitoyable !

Enfin Pougatcheff fut battu par Michelson et contraint à fuir de nouveau. Zourine reçut, bientôt après, la nouvelle de la prise du bandit et l’ordre de s’arrêter. La guerre était finie. Il m’était donc enfin possible de retourner chez mes parents. L’idée de les embrasser et de revoir Marie, dont je n’avais aucune nouvelle, me remplissait de joie. Je sautais comme un enfant. Zourine riait et me disait en haussant les épaules : « Attends, attends que tu sois marié ; tu verras que tout ira au diable ».

Et cependant, je dois en convenir, un sentiment étrange empoisonnait ma joie. Le souvenir de cet homme couvert du sang de tant de victimes innocentes et l’idée du supplice qui l’attendait ne me laissaient pas de repos. « Iéméla, Iéméla, me disais-je avec dépit, pourquoi ne t’es-tu pas jeté sur les baïonnettes ou offert aux coups de la mitraille ? C’est ce que tu avais de mieux à faire. »

Cependant Zourine me donna un congé. Quelques jours plus tard, j’allais me trouver au milieu de ma famille, lorsqu’un coup de tonnerre imprévu vint me frapper.

Le jour de mon départ, au moment où j’allais me mettre en route, Zourine entra dans ma chambre, tenant un papier à la