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billard, et pour jouer il faut savoir jouer. » Ces raisons me convainquirent complètement, et je me mis à prendre ma leçon avec beaucoup d’ardeur. Zourine m’encourageait à haute voix ; il s’étonnait de mes progrès rapides, et, après quelques leçons, il me proposa de jouer de l’argent, ne fût-ce qu’une groch (2 kopeks), non pour le gain, mais pour ne pas jouer pour rien, ce qui était, d’après lui, une fort mauvaise habitude. J’y consentis, et Zourine fit apporter du punch ; puis il me conseilla d’en goûter, répétant toujours qu’il fallait m’habituer au service. « Car, ajouta-t-il, quel service est-ce qu’un service sans punch ? » Je suivis son conseil. Nous continuâmes à jouer, et plus je goûtais de mon verre, plus je devenais hardi. Je faisais voler les billes par-dessus les bandes, je me fâchais, je disais des impertinences au marqueur qui comptait les points, Dieu sait comment ; j’élevais l’enjeu, enfin je me conduisais comme un petit garçon qui vient de prendre la clef des champs. De cette façon, le temps passa très vite. Enfin Zourine jeta un regard sur l’horloge, posa sa queue et me déclara que j’avais perdu cent roubles. Cela me rendit fort confus ; mon argent se trouvait dans les mains de Savéliitch. Je commençais à marmotter des excuses quand Zourine me dit « Mais, mon Dieu, ne t’inquiète pas ; je puis attendre ».

Nous soupâmes. Zourine ne cessait de me verser à boire, disant toujours qu’il fallait m’habituer au service. En me levant de table, je me tenais à peine sur mes jambes. Zourine me conduisit à ma chambre.

Savéliitch arriva sur ces entrefaites. Il poussa un cri quand il aperçut les indices irrécusables de mon zèle pour le service.

« Que t’est-il arrivé ? me dit-il d’une voix lamentable. Où t’