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couvert, ôta ses lunettes, n’appela et me dit : « Cette lettre est adressée à André Kinlovitch R…, mon vieux camarade et ami. Tu vas à Orenbourg pour servir sous ses ordres. »

Toutes mes brillantes espérances étaient donc évanouies. Au lieu de la vie gaie et animée de Pétersbourg, c’était l’ennui qui m’attendait dans une contrée lointaine et sauvage. Le service militaire, auquel, un instant plus tôt, je pensais avec délices, me semblait une calamité. Mais il n’y avait qu’à se soumettre. Le lendemain matin, une kibitka de voyage fut amenée devant le perron. On y plaça une malle, une cassette avec un servie à thé et des serviettes nouées pleines de petits pains et de petits pâtés, derniers restes des dorloteries de la maison paternelle. Mes parents me donnèrent leur bénédiction, et mon père me dit : « Adieu, Pierre ; sers avec fidélité celui à qui tu as prêté serment ; obéis à tes chefs ; ne recherche pas trop leurs caresses ; ne sollicite pas trop le service, mais ne le refuse pas non plus, et rappelle-toi le proverbe : Prends soin de ton habit pendant qu’il est neuf, et de ton honneur pendant qu’il est jeune. » Ma mère, tout en larmes, me recommanda de veiller à ma santé, et à Savéliitch d’avoir bien soin du petit enfant. On me mit sur le corps un court touloup de peau de lièvre, et, par-dessus, une grande pelisse en peau de renard. Je m’assis dans la kibitka avec Savéliitch, et partis -pour ma destination en pleurant amèrement.

J’arrivai dans la nuit à Sirabirsk, où je devais rester vingt-quatre heures pour diverses emplettes confiées à Savéliitch. Je m’étais arrêté dans une auberge, tandis que, dès le matin, Savéliitch avait été courir les boutiques. Ennuyé