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tous les chiens galeux d’Orenbourg frétillaient des jambes sous la même traverse ; mais ce serait un malheur si nos bons chiens à nous se mordaient entre eux. »

Khlopoucha et Béloborodoff ne dirent mot, et échangèrent un sombre regard. Je sentis la nécessité de changer le sujet de l’entretien, qui pouvait se terminer pour moi d’une fort désagréable façon. Me tournant vers Pougatcheff, je lui dis d’un air souriant : « Ah ! j’avais oublié de te remercier pour ton cheval et ton touloup. Sans toi je ne serais pas arrivé jusqu’à la ville, car je serais mort de froid pendant le trajet. »

Ma ruse réussit. Pougatcheff se mit de bonne humeur.

« La beauté de la dette, c’est le payement, me dit-il avec son habituel clignement d’œil. Conte-moi maintenant l’histoire ; qu’as-tu à faire avec cette jeune fille que Chvabrine persécute ? n’aurait-elle pas accroché ton jeune cœur, eh ?

– Elle est ma fiancée, répondis-je à Pougatcheff en m’apercevant du changement favorable qui s’opérait eu lui, et ne voyant aucun risque à lui dire la vérité.

– Ta fiancée ! s’écria Pougatcheff ; pourquoi ne l’as-tu pas dit plus tôt ? Nous te marierons, et nous nous en donnerons à tes noces. »

Puis, se tournant vers Béloborodoff : « Écoute, feld-maréchal, lui dit-il ; nous sommes d’anciens amis, Sa Seigneurie et moi, mettons-nous à souper. Demain nous verrons ce qu’il faut faire de lui ; le matin est plus sage que le soir. »

J’aurais refusé de bon cœur l’honneur qui m’était proposé ; mais je ne pouvais m’en défendre. Deux jeunes filles cosaques, enfants du maître de l’isba, couvrirent la table d’une nappe blanche, apportèrent du pain, de la soupe au poisson et des brocs de vin et de bière. Je me trouvais ainsi pour la seconde fois à la table de Pougatcheff et de ses terribles compagnons.