Page:Pouchkine - La Fille du capitaine, 1901.djvu/136

Cette page n’a pas encore été corrigée

Tous les fuyards déclarent unanimement que la famine et la peste sont à Orenbourg, qu’on y mange de la charogne, et encore comme un mets d’honneur. Et Sa Grâce nous assure que tout est en abondance. Si tu veux pendre Chvabrine, fais pendre au même gibet ce jeune garçon, pour qu’ils n’aient rien à se reprocher. »

Les paroles du maudit vieillard semblaient avoir ébranlé Pougatcheff. Par bonheur Khlopoucha se mit à contredire son camarade.

« Tais-toi, Naoumitch, lui dit-il, tu ne penses qu’à pendre et à étrangler, il te va bien de faire le héros. À te voir, on ne sait où ton âme se tient ; tu regardes déjà dans la fosse, et tu veux faire mourir les autres. Est-ce que tu n’as pas assez de sang sur la conscience ?

– Mais quel saint es-tu toi-même ? repartit Béloborodoff ; d’où te vient cette pitié ?

– Sans doute, répondit Khlopoucha, moi aussi je suis un pécheur, et cette main… (il ferma son poing osseux, et, retroussant sa manche, il montra son bras velu), et cette main est coupable d’avoir versé du sang chrétien. Mais j’ai tué mon ennemi, et non pas mon hôte, sur le grand chemin libre et dans le bois obscur, mais non à la maison et derrière le poêle, avec la hache et la massue, et non pas avec des commérages de vieille femme. »

Le vieillard détourna la tête, et grommela entre ses dents : « Narines arrachées !

– Que murmures-tu là, vieux hibou ? reprit Khlopoucha ; je t’en donnerai, des narines arrachées ; attends un peu, ton temps viendra aussi. J’espère en Dieu que tu flaireras aussi les pincettes un jour, et jusque-là prends garde que je ne t’arrache ta vilaine barbiche.

– Messieurs les généraux, dit Pougatcheff avec dignité, finissez vos querelles. Ce ne serait pas un grand malheur si