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En approchant du ravin, j’entendis de loin des cris confus et la voix de mon Savéliitch. Hâtant le pas, je me trouvai bientôt à la portée des paysans de la garde avancée qui m’avait arrêté quelques minutes auparavant. Savéliitch était au milieu d’eux. Ils avaient fait descendre le pauvre vieillard de sa rosse, et se préparaient à le garrotter. Ma vue les remplit de joie. Ils se jetèrent sur moi avec de grands cris, et dans un instant je fus à bas de mon cheval. L’un d’eux, leur chef, à ce qu’il paraît, me déclara qu’ils allaient nous conduire devant le tsar.

« Et notre père, ajouta-t-il, ordonnera s’il faut vous pendre à l’heure même, ou si l’on doit attendre la lumière de Dieu. »

Je ne fis aucune résistance. Savéliitch imita mon exemple, et les sentinelles nous emmenèrent en triomphe.

Nous traversâmes le ravin pour entrer dans la bourgade. Toutes les maisons de paysans étaient éclairées. On entendait partout des cris et du tapage. Je rencontrai une foule de gens dans la rue, mais personne ne fit attention à nous et ne reconnut en moi un officier d’Orenbourg. On nous conduisit à une isba qui faisait l’angle de deux rues. Près de la porte se trouvaient quelques tonneaux de vin et deux pièces de canon.

« Voilà le palais, dit l’un des paysans ; nous allons vous annoncer. »

Il entra dans l’isba. Je jetai un coup d’œil sur Savéliitch ; le vieillard faisait des signes de croix en marmottant ses prières. Nous attendîmes longtemps. Enfin le paysan reparut et me dit : « Viens, notre père a ordonné de faire entrer l’officier ».

J’entrai dans l’isba, ou dans le palais, comme l’appelait le paysan. Elle était éclairée par deux chandelles en suif, et les murs étaient tendus de papier d’or. Du reste, tous les meubles, les bancs, la table, le petit pot à laver les mains suspendu à une corde, l’essuie-main accroché à un clou, la fourche à enfourner dressée dans un coin, le rayon en bois chargé