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lui dis-je ; donne-moi la moitié de ce que tu as là, et garde pour toi le reste. Je pars pour la forteresse de Bélogorsk.

– Ô mon père Piôtr Andréitch, dit mon bon menin d’une voix tremblante, est-ce que tu ne crains pas Dieu ? Comment veux-tu te mettre en route maintenant que tous les passages sont coupés par les voleurs ? Prends du moins pitié de tes parents, si tu n’as pas pitié de toi-même. Où veux-tu aller ? Pourquoi ? Attends un peu. Les troupes viendront et prendront tous les brigands. Alors tu pourras aller des quatre côtés. »

Mais ma résolution était inébranlable.

« Il est trop tard pour réfléchir, dis-je au vieillard, je dois partir, je ne puis pas ne pas partir. Ne te chagrine pas, Savéliitch, Dieu est plein de miséricorde ; nous nous reverrons peut-être. Je te recommande bien de n’avoir aucune honte de dépenser mon argent, ne fais pas l’avare ; achète tout ce qui t’est nécessaire, même en payant les choses trois fois leur valeur. Je te fais cadeau de cet argent, si je ne reviens pas dans trois jours…

– Que dis-tu là, seigneur ? interrompit Savéliitch ; que je te laisse aller seul ! mais ne pense pas même à m’en prier. Si tu as résolu de partir, j’irai avec toi, fût-ce à pied, mais je ne t’abandonnerai pas. Que je reste sans toi blotti derrière une muraille de pierre ! mais j’aurais donc perdu l’esprit. Fais ce que tu voudras, seigneur ; mais je ne te quitte pas. »

Je savais bien qu’il n’y avait pas à disputer contre Savéliitch, et je lui permis de se préparer pour le départ. Au bout d’une demi-heure, j’étais en selle sur mon cheval, et Savéliitch sur une rosse maigre et boiteuse, qu’un habitant de la ville lui avait donnée pour rien, n’ayant plus de quoi la nourrir. Nous gagnâmes les portes de la ville ; les sentinelles nous laissèrent passer, et nous sortîmes enfin d’Orenbourg.