car il m’interrogea avec une sorte d’anxiété sur la cause de mon entrée si brusque.
« Votre Excellence, lui dis-je, j’accours auprès de vous comme auprès de mon pauvre père. Ne repoussez pas ma demande ; il y va du bonheur de toute ma vie.
– Qu’est-ce que c’est, mon père ? demanda le général stupéfait ; que puis-je faire pour toi ? Parle.
– Votre Excellence, permettez-moi de prendre un bataillon de soldats et un demi-cent de Cosaques pour aller balayer la forteresse de Bélogorsk. »
Le général me regarda fixement, croyant sans doute que j’avais perdu la tête, et il ne se trompait pas beaucoup.
« Comment ? comment ? balayer la forteresse de Bélogorsk ! dit-il enfin.
– Je vous réponds du succès, repris-je avec chaleur ; laissez-moi seulement sortir.
– Non, jeune homme, dit-il en hochant la tête. Sur une si grande distance, l’ennemi vous couperait facilement toute communication avec le principal point stratégique, ce qui le mettrait en mesure de remporter sur vous une victoire complète et décisive. Une communication interceptée, voyez-vous… »
Je m’effrayai en le voyant entraîné dans des dissertations militaires, et je me hâtai de l’interrompre.
« La fille du capitaine Mironoff, lui dis-je, vient de m’écrire une lettre ; elle demande du secours. Chvabrine la force à devenir sa femme.
– Vraiment ! Oh ! ce Chvabrine est un grand coquin. S’il me tombe sous la main, je le fais juger dans les vingt-quatre heures, et nous le fusillerons sur les glacis de la forteresse. Mais, en attendant, il faut prendre patience.
– Prendre patience ! m’écriai-je hors de moi. Mais d’ici là il fera violence à Marie.