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Je trouvai chez lui l’un des employés civils d’Orenbourg, le directeur des douanes, autant que je puis me le rappeler, petit vieillard gros et rouge, vêtu d’un habit de soie moirée. Il se mit à m’interroger sur le sort d’Ivan Kouzmitch, qu’il appelait son compère, et souvent il m’interrompait par des questions accessoires et des remarques sentencieuses, qui, si elles ne prouvaient pas un homme vergé dans les choses de la guerre, montraient en lui de l’esprit naturel et de la finesse. Pendant ce temps, les autres conviés s’étaient réunis. Quand tous eurent pris place, et qu’on eut offert à chacun une tasse de thé, le général exposa longuement et minutieusement en quoi consistait l’affaire en question.

« Maintenant, messieurs, il nous faut décider de quelle manière nous devons agir contre les rebelles. Est-ce offensivement ou défensivement ? Chacune de ces deux manières a ses avantages et ses désavantages. La guerre offensive présente plus d’espoir d’une rapide extermination de l’ennemi ; mais la guerre défensive est plus sûre et présente moins de dangers. En conséquence, nous recueillerons les voix suivant l’ordre légal, c’est-à-dire en consultant d’abord les plus jeunes par le rang. Monsieur l’enseigne, continua-t-il en s’adressant à moi, daignez nous énoncer votre opinion. »

Je me levai et, après avoir dépeint en peu de mots Pougatcheff et sa troupe, j’affirmai que l’usurpateur n’était pas en état de résister à des forces disciplinées.

Mon opinion fut accueillie par les employés civils avec un visible mécontentement. Ils y voyaient l’impertinence étourdie d’un jeune homme. Un murmure s’éleva, et j’entendis distinctement le mot suceur de lait prononcé à demi-voix.