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avaient nos deux jeunes gens. D’abord la diversité flagrante de leurs deux natures les tint éloignés ; bientôt après, ils commencèrent à se plaire ensemble, à se rechercher. Ils se rencontraient dans leurs promenades à cheval ; solitaires et isolés tous deux, ils furent nécessaires l’un à l’autre et devinrent bientôt inséparables. L’oisiveté, ce lien ordinaire des amitiés humaines, fut aussi le leur.


Amitié ! pourquoi prononcer ton nom, puisque tu n’existes pas !… Mortels insensés, nous nous croyons au-dessus des préjugés ; à nos yeux le monde n’est pas, nous sommes le monde ; les hommes sont des machines, et les sentiments généreux une faute et un ridicule ! — Mais Eugène n’allait pas jusque-là, et bien qu’il connût assez les hommes pour les mépriser, il faisait des exceptions, accordait son estime à beaucoup d’entre eux, et lorsqu’il rencontrait une âme capable de sentiment, il ne blasphémait pas, il était ému de respect et d’admiration.


Les paroles de Lensky faisaient naître le sourire sur ses lèvres ; le langage de feu du jeune poète, ses jugements indécis, son regard inspiré, tout