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Pendant deux jours, la solitude des champs, la fraîcheur des futaies ombreuses, le murmure paisible du ruisseau, eurent pour lui les charmes de la nouveauté. Mais le troisième jour, la forêt, le coteau, la prairie ne lui disaient plus rien. Un peu plus tard, au milieu de ses bois, le sommeil le gagnait, et il vit clairement que l’ennui est aussi l’hôte de la campagne. Loin des rues, des palais, des cartes, des bals et des vers, la handra[1] n’était pas moins à son poste pour l’attendre et le poursuivre comme son ombre ou comme une femme fidèle.


J’étais né pour mener une vie tranquille, pour goûter la paix des champs. Dans les bois solitaires, la lyre résonne plus harmonieuse et plus vibrante ; plus vigoureux et plus forts éclosent les rêves du poète. Au milieu de mes loisirs, j’erre sur le bord du lac isolé ; le far-niente est ma loi, et chaque matin me réveille pour consacrer mes heures à la mollesse et à la liberté. Je lis peu, je dors beaucoup, je n’essaie pas d’arriver à la gloire, indifférent que

  1. Nous avons déjà dit que la handra est le synonyme russe du spleen anglais, et nous avons demandé pour ce mot le droit de cité.