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temps le silence, sans oser remuer, craignant d’interrompre le mystère de la mort qui s’était accompli en notre présence dans sa touchante bénédiction. Lorsque tout le monde fut sorti, je restai seul près de lui et je le regardai longtemps. Jamais je n’avais vu sur son visage quelque chose qui ressemblât à ce que j’y vis au premier moment qui suivit sa mort. Sa tête était un peu inclinée ; ses mains étaient tranquillement allongées et comme détendues pour se reposer après un pénible travail. Quant à ce qui était peint sur son front, je ne puis l’exprimer. C’était quelque chose de nouveau, et pourtant de déjà vu. Ce n’était pas le sommeil, ce n’était pas l’expression de l’esprit, si naturelle à ce visage ; ce n’était pas non plus quelque chose de poétique ; non ! Quelle était donc cette pensée grande, étonnante, qui s’y trouvait empreinte ? En le regardant, j’étais prêt à lui demander : Que vois-tu, ami ?… Que m’aurait-il répondu, s’il avait pu revivre ? Voilà les moments de notre vie tout-à-fait dignes du nom de grands ! Alors je vis l’image de la mort elle-même, divinement secrète. »

Pendant cette longue agonie la maison du poète n’avait pas cessé d’être encombrée d’une foule immense. Enfin les domestiques furent obligés de déclarer que les amis seuls pourraient entrer. — « Laissez-nous donc passer, » dirent les visiteurs, « la Russie tout entière est l’amie de Pouchkine ! » Après sa mort son cercueil