Page:Pouchkine - Eugène Onéguine, trad. Paul Béesau, 1868.djvu/210

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Comme Tatiana a changé ! comme elle s’est vite pliée aux exigences de son nouveau rôle ! Qui pourrait croire que la timide jeune fille est devenue cette majestueuse législatrice des salons ? Et c’est lui qui avait troublé le cœur de cette femme ! C’est lui qui faisait couler ses larmes virginales, au milieu du silence des nuits ; et l’indicible tristesse qui noyait son regard, c’était de lui qu’elle venait. Ah ! c’était avec lui qu’elle désirait vivre dans la solitude et l’oubli !…


L’amour parle en maître à tous les âges : pour le cœur de la jeunesse, ses transports sont un bienfait, comme pour la prairie les orages du printemps. La pluie des passions rafraîchit le cœur du jeune homme, le renouvelle et le mûrit ; elle fait porter à sa puissante sève des fleurs éclatantes et des fruits bien doux. Mais, au déclin des années, la trace en est pâle et mourante. Ainsi les orages de la froide automne changent la prairie en un marais et dépouillent la forêt de sa couronne.


Il n’y a plus à en douter, Eugène aime Tatiana comme un enfant. Sourd aux remontrances de sa raison, il consume dans l’angoisse les jours et les