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réussit, par des flatteries caressantes, à calmer sa douleur. Hélas ! elle s’éprit d’un uhlan et l’aima de toute son âme. — La voilà au pied de l’autel, rougissante sous sa couronne de mariée, les lèvres épanouies, les yeux brillants de bonheur.


Pauvre Lensky ! sous le marbre glacé de ton sépulcre, au sein de l’immuable éternité, dis, ô mon poète, ton âme s’est-elle troublée à la nouvelle de cette trahison ?

Ou bien, devenu insensible, endormi sur les bords du Léthé, es-tu pour jamais hors d’atteinte des blessures d’un monde muet désormais pour toi ?

Ainsi, l’indifférence et l’oubli, voilà ce qui nous attend au-delà de la tombe. La voix de nos amis, de nos ennemis, de notre fiancée se tait tout-à-coup ; seuls, d’avides héritiers conservent dans leurs discussions la mémoire du défunt !


Mais bientôt la voix sonore d’Olga ne retentit plus dans la maison paternelle : le uhlan fut obligé de partir pour l’armée. La vieille mère, en disant adieu à sa fille, répandit bien des larmes ; il semblait qu’on lui arrachât la vie. Tatiana ne pleura point : une pâleur mortelle couvrit son visage ;