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et les grondements des chutes appellent, semble-t-il, la mort.

Et, justement, ce soir-là, un soir de juin de 1926, le Rapide de l’Esturgeon clamait la mort, comme un chien perdu, une nuit sans lune. La veille, il avait englouti deux vies et deux malheureux jeunes hommes dormaient quelque part, en un remous tranquille et paisible, comme un cimetière qu’il était devenu. Et l’on continuait d’imaginer, au fond de ce remous, des truites qui nageaient entre des bouillonnements d’écume…

Nous étions campés tout au bord du Rapide, au milieu d’une futaie immense où les pins s’élevaient droit du sol vers le ciel dont leurs ramures touffues interceptaient complètement la lumière. Aussi, bien qu’il fût à peine huit heures, c’était la nuit ; et ces fûts verticaux et groupés donnaient l’impression d’immenses piliers d’un temple à structure organique appelant par d’infernales clameurs de sombres sacrifices. Les lueurs phosphorescentes des cascades d’écume du rapide éclairaient, seules, les bords abruptement contournés et bifurqués en cépées…

Comme, en attendant le souper qu’on nous préparait en plein air, nous allions sous les pins, un peu plus loin, nous ne perçûmes plus que très affaiblis les grondements du rapide dont les colères se perdaient peu à peu ; et, du sous-bois, se mit à sourdre en ondes grandissantes, une sym-