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attend a des bornes ; on se lasse d’espérer, et un bon jour on sent son cœur comme muré à jamais sous les pierres lourdes et massives du désenchantement. Ce n’est pas encore le désespoir, c’en est, hélas ! le chemin et il faut que l’éducation première reçue au foyer paternel, il faut que la foi puisée sur les genoux de la mère, fortifiée à l’église par le curé, soit bien solide pour que l’on ne finisse pas en réprouvé par une balle de révolver ou une fiole de poison…

Un bon matin, Paul se réveilla sans un sou vaillant dans sa poche. Il fallut prendre une résolution suprême. Il était trop fier, trop orgueilleux pour appeler son père à son secours et il s’engagea débardeur dans la rade de New-York. Ce n’était pas la fortune, ni même l’aisance, mais le salaire qu’il retirerait l’empêcherait au moins de mendier et de mourir de faim, lui permettrait de vivre ; oh ! vivre, oui, vivre ; malgré tout ; malgré les désillusions, malgré les tristesses du présent et les terreurs de l’avenir ; vivre jusqu’au bout, au moins pour voir, s’il y avait un terme à la fatalité…

Ce soir-là, Paul, renfermé dans sa chambre, après sa première journée de travail sur le sol américain, pleura de ces larmes qui rongent comme un acide et qui brûlent jusqu’au cœur.