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Puyjalon

douce euphorie, comme endormi par le bruit monotone de la vague qui déferlait doucement sur le sable et qui, lorsqu’on l’écoute attentivement, murmure des choses si tristes et si drôles à la fois… tristes surtout en cet endroit, dans ces parages qui avoisinent l’Île d’Anticosti et que l’on a appelé le « Cimetière du Golfe », à cause des nombreux naufrages dont cette île fameuse a été la cause et la scène. Là, dans cet horizon, des navires ont craqué sous les dures étreintes des glaces, des hommes sont morts de faim, ou ont été engloutis dans les flots courroucés, d’autres se sont dévorés entre eux : des équipages, affolés par l’épouvante du Golfe, ont tué leur capitaine ; le scorbut en a rongé d’autres jusqu’à la moëlle des os… Et dans les vagues, on entend parfois, les cris, les hurlements, les plaintes, les appels, les supplications, les prières, les rires de folie de tous ces malheureux que tout le long de trois siècles, les vagues du Golfe Saint-Laurent ont jetés sur les rivages désolés de l’île ou sur la terre ferme, ou qu’ils ont engloutis dans leur sombre suaire…

« Là ! papa, la goélette qui mouille ! » cria l’enfant dégringolant d’un rocher où il avait suivi l’arrivée de l’embarcation.

— Oui, je sais, Hector, c’est la « Canadienne ».

La goélette, en effet, après avoir doublé l’île du Havre, mouillait dans la rade, et pendant qu’on carguait les voiles, une chaloupe, mise à l’eau, se dirigeait vers la rive. Deux matelots la conduisaient, et au milieu, était assis un homme qui semblait chercher de tous ses yeux à reconnaître celui qu’il apercevait sur