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Puyjalon

Le jour a été fatigant. Et maintenant, ce soir, assis au seuil de sa cabane, construite du côté du fleuve, à mesure que la nuit cherche à accorder ses tons bleuâtres aux formes tranquilles de l’île, il tâche, de ses yeux embués de mélancolie, de deviner au plus loin possible l’étendue amère. Tout s’abolit dans la grisaille. Jamais cette partie de l’archipel de Mingan ne lui a paru si déserte. L’éclat d’un phare tournant, tout proche, illumine à intervalles réguliers sa face qu’on dirait de bronze. La flamme, directe et crue, blafarde, ruisselle sur la noire immensité d’eau mouvante.

Seul ? Non. Une voix jeune et fraîche, de l’intérieur de la cabane, coupe le silence nocturne. C’est Raymond-Roger :

« Papa, quel est donc cet oiseau qui vient de si vilainement crier sur le morne, en arrière de la cabane ? »

On entend un hululement insupportable.

« C’est un grand duc de Virginie… un oiseau de malheur. Mais tu dois avoir sommeil, mon enfant, dors, je te rejoins bientôt…

Sur la grève, des goémons rougeâtres brillent sous les rayons de la lune qui vient de se lever et trace sur les eaux mouvantes une longue traînée de lumière. Tout près, à quelques pas de la cabane, on voit les ruines d’une petite homarderie encastrées dans un amas chaotique de rochers. C’est la dernière vision du Solitaire de l’Île-à-la-Chasse, l’« Homme du Labrador ».

Le lendemain matin, Raymond-Roger, voyant que son père reste plus longtemps que de coutume sur son petit lit de camp, s’approche de lui, l’appelle, crie, le secoue : silence.