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Peter McLeod

Pendant des mois, des ans peut-être, vous vous tassez, vous avalez à pleines rasades des injures et de la honte puis, tout à coup, un jour, vous ne pouvez pas avaler une goutte de plus… C’était le cas de Fred Dufour.

Peu après le départ de Peter McLeod revenu de son évanouissement, les hommes sortirent du “Main Office”. Ils étaient contents. Pour eux, cette soirée avait été d’un comique endiablé, un épisode joyeux et magnifique dans la monotonie de l’ennuyeuse vie qu’ils menaient dans ce coin de terre aussi froid que lointain. Il était tard. La fatigue maintenant formait sur ces faces d’hommes comme une croûte. Ceux de la Rivière-du-Moulin chaussèrent leurs raquettes qu’ils avaient accrochées au mur du « campe », et l’on entendit bientôt dans la nuit lunaire des plocs plocs rapides sur la neige durcie et criante.

Puis un lourd silence tomba sur la “concern”.

C’était un groupe de misérables constructions faites de pièces de bois rond, de madriers et de planches de sapin, le tout pour le moment figé dans la neige. Un sentiment de tristesse pénétrante, semblable à celui que fait naître une musique grave, se dégageait de cet embryon de ville industrielle. La nuit bleue coulait, s’étendait toute nue sur la rivière et sur le Bassin. Elle était claire et froide, souple… nageait dans le ciel haut, sans frôlement. Sa chevelure descendait jusqu’au hameau. La lune, depuis longtemps déjà, avait pris possession du ciel. Elle rayonnait et ruisselait partout. Elle argentait, de l’autre côté du Saguenay, des groupes de montagnes qui semblaient des bêtes accroupies.