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LE FRANÇAIS

serait un gas de la race. Partir, en laissant sa terre entre les mains d’un étranger, non, c’est impossible ; il ne fera jamais cela !… Un instant, tel fut son désespoir qu’il eut la pensée atroce de sacrifier finalement sa terre, de la vendre, d’accepter même les offres de M. Larivé, et de s’en aller ailleurs, n’importe où, loin du théâtre de son malheur, loin de sa maison, de sa chère maison !…

Pour les cultivateurs bas-canadiens, pour Jean-Baptiste Morel surtout qui tient à la terre par tous ses fibres, la maison, c’est leur vie entière, vie de travail sans répit… C’est d’abord la misérable bicoque, le camp de bois rond qui s’élève en un coin de la forêt, avant les premiers coups de hache du défrichement de la terre ; c’est encore, un peu plus tard, l’espèce d’appentis en planches d’épinette qui indique, après les premiers morceaux de terre neuve, les premières moissons ; c’est, enfin, le bâtiment confortable, lambrissé, peinturé, au toit couvert de bardeaux de cèdre, ponctué de lucarnes, entouré de beaux arbres et d’un gras jardin mi-potager, mi-parterre et qui apprend à ceux qui passent sur le chemin du Roi que l’ancien colon défricheur est devenu un cultivateur aisé possédant des prairies, des chaumes, des jardins et des champs de grain qui s’étendent jusqu’à la limite du trécarré, c’est-à-dire à perte de vue. Le camp en pièces de bois rond posées en queue d’aronde, la soupente en planches d’épinette blanche, le bâtiment badigeonné au lait de chaux, c’est la Maison. Il y aura d’autres bâtisses aux entours, mais il n’y aura toujours pour chacun des