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LE FRANÇAIS


IV


Quelques semaines après cet événement, nous voyons Jean-Baptiste Morel affaissé sous l’aveu d’amour tombé des lèvres de sa fille pour son engagé… Durant un moment, on l’a vu, il demeura comme assommé ainsi qu’un bœuf sous le coup du merlin, puis il sentit sourdre en lui une grande colère qu’il sut toutefois réprimer. Enfin, il crut qu’il allait se mettre à pleurer comme un enfant. Il vit en lui un homme désespéré, un homme douloureux ; ce fut comme quelque chose qui s’écroulait dans sa poitrine. Il exagéra la gravité de la catastrophe dont il se croyait victime et il fut injuste envers celui qui était la cause innocente de son désespoir. Certes, il estimait Léon Lambert qu’il savait solide travailleur et qui à l’ouvrage valait, comme avait dit Marguerite, deux hommes. Le Français d’ailleurs avait prouvé sa valeur au jour mémorable de la corvée des foins. Depuis, comme avant, il ne l’avait jamais vu faiblir au labeur. Il ne regrettait pas encore de l’avoir adopté ; grâce à lui, il avait pensé pouvoir conserver la terre paternelle et repousser plus énergiquement les offres insultantes de M. Larivé. Mais, — c’était une obsession — encore fallait-il conserver à la terre son âme, cette âme faite de tous les souvenirs qui s’en dégageaient ; cette âme qui ne devait s’incarner que dans le mari de sa fille et qui