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LE FRANÇAIS

la porte de l’étable d’où il les regarde s’éloigner. Mais des pensées mélancoliques l’assaillent bientôt… Pour la première fois, il se sent étranger à ce monde. Il souffre de l’antipathie trop visible des voisins, de leur froideur à son égard, du peu de confiance qu’ils ont en son travail. Ne devait-il pas se soumettre ? Il est un étranger et, de plus, un simple engagé. Ne doit-il faire seulement ce qu’on lui commande ? Mais il ne souffre pas moins vivement de cet état de sujétion où il se trouve condamné. Un instant, il se sent triste à pleurer ; et de fait, une grosse larme lui descend le long du nez. Il pense à ce jour affreux de l’hiver dernier quand, près de la Pointe-au-Vin, il est tombé dans la neige pour mourir. Que ne l’a-t-on laissé là !… Il ne souffrirait plus… Il entend encore la bande joyeuse et bruyante des tâcherons, en haut du champ ; sans doute, ils se mettent à l’œuvre. Ah ! s’il était avec eux !… Mais voilà que tout à coup il se met à désirer une éclatante revanche. Cette résignation lui pèse sur la poitrine ; c’est trop bête à la fin de se laisser traiter, comme cela, en petit garçon !… Qu’est-ce que diraient de lui, les gas de là-bas ?…

« Monsieur Léon, voulez-vous venir m’aider à chauffer mon poêle qui ne veut pas « prendre »  »  ?…

Léon tressaille ; Marguerite est près de lui. Il ne l’a pas vue venir de la maison et il est tout décontenancé d’avoir été surpris, comme cela, pleurant comme un bambin fouaillé. La jeune fille voit les yeux encore mouillés de Léon…

« Ah ! mais vous pleurez, Monsieur Léon ?… »