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LE FRANÇAIS

pour un convalescent ; la première fois, il versa toutes ses sueurs pour faire pénétrer avec régularité dans la glèbe humide la lourde charrue au seul déversoir et au coutre puissant. Il la guidait d’un mouvement fiévreux, craignant sans cesse d’en voir sauter le soc hors du sillon. Mais il n’eut pas souvent cette humiliation. À la fin de la première journée, tout allait comme sur des rouelles… Silencieusement ouverte d’environ un pied de profondeur, la terre se déchirait sous la poussée, se gonflait, toute brune, et se renversait en fragments compacts, couvrant le champ de sillons symétriques. Léon, aux mancherons, jusqu’à mi-jambe dans la brèche, dirige à commandements brefs l’allure de l’attelage. Derrière lui, les oiseaux, en sautillant de motte en motte, sont à la recherche des vers déterrés… Et ce fut ainsi durant plusieurs jours, du matin au soir, un va-et-vient incessant dans l’étendue de deux grands champs que l’on fouilla en tous sens, le laboureur geignant le front penché, et le flanc battant des chevaux, pour mettre à nu l’humus inférieur, plein de suc et qui semble aussi, par la vapeur qui s’en dégage, rendre sa sueur de résistance et d’efforts…

Et Léon Lambert, en ces matins de fin de mai qu’il aime à vivre dans la douceur élyséenne des champs, contemple avec délice et non sans un secret sentiment d’orgueil, les résultats de ses premiers et rudes travaux sur le sol québécois…

Aussi, grâce à ces violents exercices du corps, les joues du jeune Français ne tardèrent pas à reprendre les teintes de la jeunesse que la maladie avait effacées.