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LE FRANÇAIS

vit qu’il était gelé. Il s’aperçut aussi que l’obscurité venait par grandes foulades à travers le lac. Quand le soir fut arrivé tout à fait, le vent se mit à souffler, poussant une neige fine et serrée comme il n’en avait jamais vu dans les Cévennes, ni ailleurs. Oh ! alors, ce fut raide et l’émigré n’eut plus envie de siffloter. D’abord, ses jambes faiblissaient. Depuis tant d’heures qu’il marchait ! Ses pieds étaient gelés. Il hasardait plusieurs enjambées, s’arrêtait une minute, s’orientait, puis, faisait encore quelques pas, très vite, tantôt ci tantôt là, aveuglé par la neige. À tout moment ses pieds butaient contre des glaçons saillants. La neige dure et piquante lui coupait la figure et il lui semblait qu’il sortait du sang de ses joues. Il leva, un moment, la tête et, tout à coup, son regard rencontra, à travers le rideau mouvant de la poudrerie, la ligne sombre d’un bois. C’était la Pointe-au-Vin. Il ne connaissait pas ce nom-là, pour l’instant, mais peu lui importait. Et le vent et la neige, glacés toujours, lui brûlaient les yeux, lui tiraient les lèvres, lui déchiraient les joues, lui brisaient l’énergie. La tête prise, la cervelle lourde, machinalement, il marcha vers la pointe. Les arbres avaient l’air de l’appeler ; il entra sous les arbres. Il y fait moins froid et le vent ne lui fouette plus le visage. Il l’entend seulement hurler, miauler, grincer, se lamenter au-dessus de la tête, dans les branches gémissantes. Mais dans le bois, il fait noir comme au fond d’un puits. Alors, il se mit à avoir peur. S’il venait des loups qu’il n’entendrait pas à cause du vent !… Tout autour de lui était af-