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LE FRANÇAIS

rigues, qu’il est parti, il lui semble qu’il y a bien longtemps. Un jour, après la guerre pendant laquelle il s’était battu à peu près sur tous les fronts, son père lui avait dit : « Fils, nous sommes pauvres et il n’y a pas grand’chose à faire pour toi, ici ; mes bras suffisent pour cultiver notre petit champ et tes sœurettes peuvent garder la cabra. Il vaut mieux t’en aller dans les villes pour faire ta vie ; il y a bien la vendange à faire au pays bas, mais ça dure peu. Vaut mieux aller plus loin ; dans l’Amérique des Américains, à l’autre bout de la mer, on dit que personne n’est de trop et qu’on y ramasse de l’or par terre ni plus ni moins que des châtaignes en nos châtaigneraies… »

Il aurait bien voulu ne pas partir. Cela remue toujours si cruellement le cœur de quitter les siens et de s’en aller de la maison qu’on aime et de la terre qu’on a travaillée… Il y avait aussi, à part le père, la mère et les deux sœurettes, Louise, qui, depuis le retour de la guerre faisait chanter son cœur plus qu’il ne l’eut voulu dire. Mais il partit quand même. La mère avait beaucoup pleuré et les petites sœurs aussi. Au moment de prendre la route qui descendait dans la vallée, il avait vu disparaître la maison derrière le four communal.

Et après ?… Après, oh ! que de choses et comme le monde est grand, mon Dieu ! Les souvenirs se brouillaient un peu dans sa tête malade. Il avait d’abord, longtemps, traîné de ville en ville, cherchant du travail et n’en trouvant que rarement. Dans ces villes où il y avait si peu de choses qui ressemblaient à ses