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LE FRANÇAIS

Vers six heures, Jean-Baptiste Morel arrivait à la maison où Marguerite l’attendait dans la plus profonde inquiétude. Prestement, il déposa dans la grand’salle chaude et claire le malheureux qu’il avait trouvé là-bas et, sans plus d’explications, le recommanda à sa fille pendant qu’il courait à l’étable dételer et soigner son pauvre cheval épuisé…

Sur le grand lit double où on l’a déposé, l’homme semble bien mal. Il ne peut articuler un mot mais il respire encore librement. De temps à autre, il ouvre les yeux mais les referme aussitôt. Sa vision, trouble, entrevoit, comme en rêve, toutes sortes de choses étranges. Il se sent d’abord reposer sur quelque chose de moelleux, puis il voit deux formes près de lui : l’une grande et forte, l’autre svelte et délicate, qui remuent beaucoup et se penchent souvent au-dessus de lui. Il sent qu’une douce chaleur envahit tout son corps. Cette chaleur l’engourdit d’abord, puis, cherche à lui fermer les yeux pour longtemps. Il a tout-à-coup la sensation qu’il s’endort pesamment et il ne fait aucun effort pour échapper à ce sommeil où il se plonge avec volupté. Mais il continue de voir encore bien des choses, et fort étranges, et si différentes cette fois, des premières, mon Dieu !… D’abord, ce fut une petite église avec des bancs de bois, puis des troupeaux de chèvres qui paissaient entre des tas de troncs d’arbres coupés et des rocailles ; puis une route grise qui dévalait en pente douce dans une vallée… puis, une diligence d’où il entendait des claquements de fouet…