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LE FRANÇAIS

il aura à lutter à la fois contre l’obscurité et contre la neige qui a fait disparaître toute trace de chemin sur la glace. Pas une seule balise, en effet, n’est restée debout pour indiquer la route improvisée que barrent d’immenses falaises de neige. La tempête maintenant siffle et râle plus fort ; le froid devient plus vif et la neige cingle comme un fouet. Le cheval, aveuglé, marche péniblement, la tête baissée, se laissant guider au petit bonheur, menaçant à chaque instant de s’abattre ou de rester embourbé au milieu d’un banc de neige.

Soudain, Jean-Baptiste Morel, qui marche en haletant à côté de son cheval, pousse un cri et arrête sa bête d’un coup bref de ses cordeaux. Au bord du remblai d’une falaise qui fait le gros dos par-dessus le chemin, il vient d’apercevoir comme deux bras étendus. Il s’est baissé aussitôt et, de ses pieds et de ses mains, il a fait un trou dans la neige molle et fraîche, et il a découvert le corps d’un homme qui semblait vivre encore.

Poser ce malheureux sur sa charge de bois, le couvrir de son lourd et épais capot d’ours, presser la marche de son cheval un peu reposé par la courte halte qu’il venait de faire, fut pour Jean-Baptiste Morel l’affaire d’une minute. Il n’y avait pas de temps à perdre ; il fallait arriver assez vite pour sauver ce malheureux. Heureusement, quelques instants après, il y eut une longue accalmie ; le vent diminua en violence et la neige cessa de tomber. Mais le froid avait comme redoublé. Il mordait les membres et frimassait hommes, bêtes et choses.