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LE FRANÇAIS

général, mais inquiétante, doit-on penser, pour les futurs cultivateurs. Les défricheurs de la forêt travaillent avec la hâte fiévreuse de voir le plus tôt possible les blés et les avoines remplacer les grands bois, les taillis et la brousse. Mais ils vont trop loin et leur hache, impatiente, va trop vite. Des colons ambitieux n’auront de bonheur, semble-t-il, que le jour où ils verront tomber le dernier arbre de leur lot, du moment, bien entendu, que la loi leur permettra de défricher sans discernement et à hache que veux-tu. L’arbre est l’ennemi du colon défricheur ; le premier a tellement fait souffrir le second, pendant les premières et dures années de l’« établissement », qu’il semble que les deux, pourtant naturellement amis, ne pourront jamais plus se souffrir l’un l’autre. Il faut que l’un d’eux disparaisse, et c’est l’arbre. Mais ce dernier verra vite le jour de la revanche. Plus tôt que tard, le colon devenu cultivateur, et propriétaire d’une ferme toute ensemencée, sentira qu’il a besoin de l’arbre autant qu’il désirait la terre ; et nos rudes hivers, chaque année, viendront, mais trop tard, tendre à l’ancien colon imprévoyant et rancunier, de la part de l’arbre oublieux des injures et des brutalités, la branche d’olivier…

Car le colon, dans sa rage contre la forêt qu’il voudrait abattre toute d’un seul coup de hache, n’a pas pensé que, plus tard, l’arbre devait être le combustible indispensable à son foyer. Sa terre produit, à présent, à partir du chemin du roi jusqu’au trécarré, ses granges pleines de céréales dorées, ses caves débor-