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LE FRANÇAIS

il était né. Il était devenu farouche à tout ce qui ne regardait pas le bien de sa terre.

Mais le malheur, en ces dernières années, avait travaillé son âme et son corps ; et de tous les sentiments ardents qui l’animaient naguère n’étaient plus restés, à bien dire, en son cœur, que l’amour violent pour sa terre et sa tendresse pour Marguerite. Sa figure était l’une de celles qui ont gardé de la réflexion et de la souffrance, des creusements et comme des touches irréparables. Il était, pour l’instant, plus renfermé que jamais et sa pensée semblait comme fatiguée… Il ne se fâcha pas. Il ne dit mot, croyant maintenant plutôt à un caprice de sa fille…

Tout à coup, Marguerite qui continuait de se tenir à la fenêtre, tressaillit. De derrière les étables, un jeune homme venait de surgir en grande allure ; il semblait de haute taille dans la clarté rayonnante de cette fin d’après-midi. Une faulx solidement campée sur son épaule, les pas assurés, il apportait, semblait-il, avec lui, la santé et la joie de l’espace. Des gouttes de sueur filtraient à travers la loque de sa chemise dépoitraillée ; il chantait à tue-tête :

« Mignonne, quand la nuit descendra sur la terre,
Nous irons écouter la chanson des blés d’or !… »

Jean-Baptiste Morel fit un geste d’ennui, comme s’il s’éveillait : « le Français ! » murmura-t-il.