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LE FRANÇAIS

« Ora pro nobis ! » répond la foule des paysans, les yeux fixés devant eux ou errant de chaque côté du chemin, le long des champs…

« Ut fructus terrae dare et conservere digneris !… » récitent les chantres sur un ton de mélopée, et la foule répond : « Te rogamus, audi nos ! »

L’on entend bruire des pas menus et nombreux. Selon les caprices de la brise ou les cahots de la route, la voix des chantres est tantôt forte, pleine, large, tantôt saccadée ou sourde ; la dernière syllabe du « Sancte Raphael », ou d’autres courtes invocations, s’élève et se prolonge dans l’air comme une lamentation. La longue file des têtes berce au rythme de la marche. Ceux qui lisent dans leurs livres de prières, à tout instant, butent dans des cahots et les sonnailles étouffées des chapelets à grains de buis ou de cornaline se font entendre par-dessus le bruit des pas… Comme l’on est encore au temps de la lune rousse, le ciel est encore froid, ce matin-là ; pas un nuage, ce qui fait prier encore avec plus de ferveur ceux qui marchent en procession et qui veulent, le plus tôt possible, pour les semailles que l’on est toujours anxieux de commencer, la forte et vigoureuse chaleur du soleil d’été. La terre, au long de la route, n’attend plus que les baisers ardents de l’astre pour prendre son essor de vie et, déjà, que de promesses dans ses premiers sourires au ras du sol et à la cime des arbres ! Mais comme tout cela est fragile ! Mille ennemis, contre ce qui est déjà fait, se cachent. Un abîme sépare les semailles de la moisson ; et il faut bien profiter des Rogations, semeuses de prié-