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LE FRANÇAIS

des neiges » ? Va-t-on s’embarrasser de son bois qui mesure, au moins, neuf pieds d’envergure, de sa peau et de sa viande ? Quel beau morceau de roi tout de même !… Un caprice de l’air soudain rendit inquiet ce roi des forêts outaouaises ; ses naseaux, ouverts parallèlement au chanfrein, frémirent, aspirant le vent ; puis, tout à coup, plaquant contre ses épaules ses larges palmes, le nez en l’air et le long poil de sa barbe volant au vent, il s’enfuit lourdement sous le bois épais.

Les deux voyageurs continuèrent leur marche enragée, leur descente à la débridée vers le lac qu’ils voulaient atteindre le soir même. Et ce fut fait. Quelques minutes après le coucher du soleil, du haut d’une colline boisée qu’ils venaient d’escalader, ils aperçurent, paraissant tout proche, à leurs pieds, une sorte de baie, puis, s’étendant aussi loin que leur vue pouvait porter, la nappe blanche et immobile du lac. Ils avaient atteint ce dernier, à l’entrée de la rivière Pémican, quelques milles plus bas que le quai de Kipawa. Ils décidèrent de camper pour la nuit, avant de prendre, dès l’aube, la traversée du lac, dans sa longueur, de la Pémican à la Baie-des-Pères. Au pied de la colline, sous un épais fourré, ils construisirent en un tour de main, une hutte de branchages de sapins, allumèrent un feu à l’abri d’une grosse roche, engloutirent en un coup de langue quelques bouchées du contenu de leur baluchon et, rompus de fatigue, s’étant enveloppés de couvertures, côte à côte, pour entretenir la chaleur du corps, ils s’endormirent profondément sous la hutte odorante, sourde et feutrée.