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LE FRANÇAIS

« Pas d’argent !… pas de terre !… pas d’avenir !… », gronda-t-il, « mais c’est lui, pour lors, qui serait un coureux de lots ! Et sa famille ?… C’est pas un vagabond, j’suppose !… un enfant perdu, un immigré, comme il en vient des tas au pays ?… »

— « Père, il est honnête et bon comme du pain de notre blé ; vous le connaissez ; il vaut trois hommes à l’ouvrage ».

Jean-Baptiste Morel enfouit, un instant, sa tête dans ses mains. Il murmura, amer :

« Encore un malheur !… » Puis, relevant la tête et regardant fixement sa fille : « Tu dis que je l’connais, ton cavalier ?… Voyons voir son nom ? »

Marguerite hésita, rougit, perdit, une minute, sa belle et fière assurance, puis, enfin, devant son père qui, un moment, sourit de sa confusion, répondit avec un air d’innocence baptismale :

« C’est Léon Lambert, père !… »

Aussitôt, rouge comme une pivoine de son parterre qu’elle cultivait avec tant de soin, elle se tourna vers la fenêtre qui découvrait presque toute la terre qui s’étendait jusqu’aux taillis du trécarré… Aussi loin qu’elle put, dans la clarté pâle de cette après-midi déclinante d’août, elle plongea ses regards par-dessus la terre, la fouillant dans tous ses recoins pendant que derrière elle, le père, immobile, les coudes sur les genoux, la tête levée vers la fenêtre, sur sa fille, la regardant jusqu’à la fin de ses yeux, ahuri, ne bougeant pas plus qu’un piquet de clôture de ses champs, songeait creux. Il lui semblait voir dans le vol des