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LE FRANÇAIS

étaient accompagnées d’un accordéon criard. Jacques Duval, comme au village, s’était fait le directeur du chant et c’est lui qui avait entonné de la belle voix sonore le solennel « Minuit, Chrétiens ! » et qui avait chanté l’« Adeste Fideles », langoureux comme un chant de matelot… Tous les hommes étaient émus. Que de douces pensées s’envolèrent en cet instant touchant de ces têtes rudes, vers les foyers chéris où en ce moment, des femmes inquiètes et des enfants innocemment joyeux pensaient aux chers absents ensevelis dans les forêts enneigées de Kipawa !…

Ah ! mais que tout est changé ! La joie maintenant, la joie délirante, enfantine, fusant en gerbes à propos de tout et à propos de rien, déborde des longues tables du campe chargées de plats appétissants, fumant et fleurant bon dans tout l’intérieur. L’on mange, réjoui de manger, réjoui de vivre ; les mandibules étaient lancées à toute vigueur. Ah ! personne n’avait la gale aux dents et l’on y allait d’un train véritablement enragé. Pour sûr, tout allait y passer : les gros rôtis crépitants et bardés de grillades de lard du pauvre caribou de la coulée, les perdrix blanches ruisselantes de jus et relevées des chignons de trois choux que le père Phydime avait réussi à conserver jusques là sur les provisions de l’automne, les tartes croustillantes faites de confiture de bleuets secs, les platées de tire, tendre, dorée et spongieuse faite de fine mélasse des Barbades… Oui, tout allait y passer. En effet, tout y passa ; à peine s’il resta au fond des assiettes quelques lampées de sauce pour Rond-Rond. Quel robuste appétit ont,