Page:Potvin - Le Français, 1925.djvu/270

Cette page a été validée par deux contributeurs.
256
LE FRANÇAIS

goisse lui étreindre le cœur. Que va-t-elle répondre ?… Pendant quelques minutes, rien. Les cris et les rires redoublent à l’entour d’elle. Marguerite ne répond pas. L’institutrice, grave, pose sa question que l’on répète partout ; rien encore… Marguerite Morel se sent tout à coup malheureuse, honteuse, humiliée, gênée ; il lui semble qu’elle est là, rivée pour toujours sur ce plancher, au milieu de cette salle et qu’elle ne pourra jamais s’en aller. Tout à coup, des larmes, de vraies larmes gonflent ses paupières et de son cœur éclatent des sanglots qui montent et lui étreignent la gorge… « Comme elle pleure naturellement ! » pense-t-on et dit-on, autour d’elle. Il lui faut simuler le chagrin, la peine ; il lui faut « pleurer son sort » et comme c’est douloureusement facile pour elle, ce simulacre de larmes et de sanglots… elle sanglote, en réalité, à grands coups de gorge, les mains crispées sur sa figure, les épaules secouées ; elle pense comme elle eut été heureuse de pleurer, en ce moment, silencieusement, cachée et loin de tout regard…

« Ton cavalier !… ton cavalier !… » crie-t-on de tous les points de la salle pendant que l’institutrice, de sa voix autoritaire, cassante, par habitude, ne cesse de répéter son implacable question :

« Votre cavalier, qui est-ce ?… »

Le petit drame intime se complique et les situations réelles veulent comme se préciser ; maintenant il se mêle comme un sentiment de méchanceté dans les cris, les quolibets et les questions dont on accable Marguerite Morel. La jeunesse, comme l’enfance, est sans