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LE FRANÇAIS

me les échappements nasillards d’un instrument détraqué mêlant ses notes suraiguës

« …Y avait longtemps qu’les enfants m’tannaient avec l’Bob qu’était ben vieux alors. Ils prétendaient qu’il était bon à rien, qu’il prenait d’là place dans l’étable et qu’il était embarrassant. La femme s’en mêlait aussi : « C’est pas chréquien », qu’elle m’disait, « d’laisser vivre plus longtemps c’t’pauv’bête qui serait ben mieux, morte, j’t’assure ». J’résistais tant que j’pouvais ; l’idée d’tuer Bob m’chavirait les esprits et j’en étais malade rien qu’à y penser. Toujours est-il qu’un beau matin, à force de m’faire bâdrer par la créature et l’s’enfants, je m’décidis à la chose.

« Y faisait in beau temps du commencement d’juin ; l’air était nordet et j’me rappelle même avoir r’gardé l’coq d’l’église avant d’partir, et il était flambant la queue au nordet… Comme un homme qu’allait commettre une mauvaise action, j’voulais pas qu’personne aie connaissance de c’que j’allais faire et j’avais décidé d’m’en aller au trécarré avec Bob. D’fait, nous v’là tous les deux partis, moi en avant, avec mon fusil su l’épaule ; lui, il m’suivait comme in enfant. J’marchais pas vite vu qu’la pauv’bête butait quasiment à chaque motte de terre qu’al’rencontrait ; il était si vieux. l’Bob !…

« Comme on marchait, j’amusais à r’garder partout, alentour. Y faisait in vrai beau temps ; l’grain, dans les champs, était déjà long comme l’doigt, et quand on a traversé la prairie du Gros Rocher, vous savez, celle-là qui va, asteur, quasiment jusqu’au che-