Page:Potvin - Le Français, 1925.djvu/245

Cette page a été validée par deux contributeurs.
231
LE FRANÇAIS

tirait sa force du plus profond des couches argileuses de la terre paternelle. Mais, ce soir mélancolique de la Toussaint, alors que venaient de sortir de ses lèvres des prières pour l’âme de ceux qui avaient fondé la terre du père, la sienne aussi, elle pensa que ce serait comme une sorte de sacrilège de s’obstiner à la défendre contre un dédain trop injuste. La puissance persuasive du souvenir des chers morts n’était-elle pas suffisante pour fortifier sa foi en elle, pour affermir sa résolution de ne jamais la quitter ; et, d’ailleurs, en ce moment même, sous la splendeur de la lune qui maintenant émerge des collines, grande comme une roue de charrette, la terre du père, dont elle et Jacques longent les premiers champs, toute blonde dans la lumière pâle, pleine des transparences nacrées des cieux libres, la terre n’apparaissait-elle pas assez douce, assez belle, assez cajolante pour ne pas se faire aimer par elle-même sans l’argumentation spécieuse d’acerbes discussions…

Les deux jeunes gens s’arrêtèrent à la barrière à claire-voie qui séparait la route de la maison de Jean-Baptiste Morel. Jacques avait encore long à faire avant de gagner le Rang Trois et il ne voulut pas s’attarder davantage. Avant de quitter la jeune fille, il demanda, timide et doux :

« Tu m’as écouté, Marguerite ?… Tu m’approuves ?… »

Marguerite répondit :

« Ah !… Que c’est beau ! Regarde donc, Jacques, ce clair de lune… Comme la terre est blonde