Page:Potvin - Le Français, 1925.djvu/223

Cette page a été validée par deux contributeurs.
209
LE FRANÇAIS

volonté obscure qui travaille constamment et qui tisse, avec quelle habileté, la trame de ce qu’elle veut que soit la vie rêvée. Les beaux rêves tout de même !…

Cet éclair de tendresse qui vient de traverser l’âme de Jacques Duval pour la terre paternelle qu’il contemple, si avenante, dans sa simple et claire toilette d’arrière-saison, ce plaisir doucement insinuant qu’il a pris, un instant, à embrasser, non sans complaisance, ce coin de la vallée du Témiscamingue, se sont tout à coup transformés par la vertu puissante du désir de ce que nous font entrevoir nos rêves perpétuels des irréalités, en la tendresse diaphane et la joie factice d’une autre vie désirée et vers laquelle il ne cesse d’aspirer. Et Jacques Duval, toujours appuyé sur le manche de son broc à fumier, braquant fixement devant lui la flamme de ses regards, ne voit plus, dans l’horizon de vallons boisés, de plaines défrichées, de savanes herbues et de mamelons granitiques, qu’un vaste paysage de pierre, d’asphalte et de briques, gigantesque ossature où, dans sa gloire automnale, le soleil accentue, en ourlets de lumière, les saillies d’édifices titanesques qui se déploient en lignes nettes avec tous les saisissants caprices de leurs reliefs… Jacques Duval écarquille les yeux jusqu’à prunelle fixe et cherche à saisir toute l’immensité de l’étrange paysage qui s’offre à son rêve et dont l’horizon semble démesurément s’agrandir ; mais la vision se dérobe de tous les côtés à la fois en même temps qu’au centre paraissent se tasser des blocs énormes de pierres grises au milieu desquelles se dessinent quelques pâles parcelles de verdure des