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LE FRANÇAIS

pièces, tout lui parlait de ces êtres chers et il lui semblait souvent vivre au milieu d’eux, environné de leur ombre sacrée. Aussi, se détacher de sa terre, la vendre à des étrangers ou permettre même à l’un de ces derniers de la fouler, ce serait, lui semblait-il, faire mourir, une deuxième fois, le père, la mère, l’épouse, le fils. Voilà un crime qu’il ne commettra pas ; il le jure. Il conservera à sa terre son âme, cette âme faite des souvenirs de réconfortant et joyeux labeur, du rappel des misères, des peines et des deuils. Il en a le culte et il en a l’amour. Son cœur en est pétri au point de se faire dur souvent. Et puis, cette terre, il l’a tant travaillée ; autant et peut-être plus encore que le père.

Elle l’a fait vieux avant les ans. Aussi l’aime-t-il pour la peine qu’elle lui donne, pour les fruits qu’il lui arrache au prix de tant de fatigues et pour les trances où le tient d’un bout de l’année à l’autre l’incertitude de les recueillir ; pour ce travail, obstiné et obscur, qui n’aura pas toujours sa récompense ; il l’aime encore pour les beautés qu’il lui découvre sans cesse et qu’il sent ; pour ses arbres, ses belles herbes, ses rocailles ; pour ses fondrières et ses savanes si dures à égoutter, pour ses fleurs si belles mais qui sont des poisons aux plantes nourricières, pour ces dernières, receleuses de tant d’angoisses et de tant d’espoirs ; pour les oiseaux qui viennent y chercher la pâture et qui s’y arrêtent ; pour ses bestiaux qu’elle nourrit si amoureusement. Il l’aime pour la vigueur que sa culture le force à acquérir et la santé que le grand air qui la traverse et l’arôme vivifiant qui s’en échappe le contraignent à