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LE FRANÇAIS

vent et ses lettres faisaient toujours savoir de bonnes nouvelles. Dans l’une, il annonçait à son père qu’il avait été fait sergent sur le champ de bataille ; dans une autre, il exprimait l’espoir très sérieux d’un retour prochain au pays, espoir que la sauvagerie de la lutte l’avait empêché d’entretenir dans ses lettres précédentes. Il y eut, ce jour-là, réjouissance à la maison. Mais les grandes joie sont courtes.

Un soir brumeux d’automne, au moment où Jean-Baptiste Morel et Marguerite se préparaient à prendre le repas de la fin du jour, ils avaient vu soudain entrer le curé du village, l’air soucieux, et, instinctivement, ils avaient compris :

« C’est fini ?… » eut la force de demander Marguerite.

Le père, lui, n’articula pas un mot.

Le prêtre fit signe qu’en effet c’était fini. Il jeta sur la table un télégramme qu’il avait reçu dans l’après-midi, du Ministère de la Milice, à Ottawa, et qui disait ces simples mots : « Le sergent Joseph Morel tué à Chéris, d’une balle ». C’était tout. Après quelques paroles de consolation, le ministre de Dieu était parti sur la route boueuse qui descend au village.

Le père est resté dans la cuisine pleine d’obscurité. Il n’a pas dit un mot depuis l’affreuse nouvelle ; et maintenant, silencieusement, il pleure de ces larmes d’homme qui font mal et qui rongent la face comme un acide.

À la terre de Jean-Baptiste Morel il manque à présent deux bras vigoureux, comme fait défaut, de-