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LE FRANÇAIS

Quand on vient du village et qu’on aperçoit, au fond de la coulée, le petit lac entouré de sa ceinture ombreuse de bouleaux et de trembles, le spectacle est si attachant que l’on sent monter en son cœur comme un vague désir de pêche. En effet, parvenu près de l’étang, un ardent besoin vous prend de jeter la ligne à tout hasard dans l’eau peu profonde et claire où l’on voit se promener, comme des bourgeois, de gros goujons, et fureter dans la vase du fond des perchaudes dodues au ventre d’écailles jaunâtres.

Des trembles ont perdu complètement la tête sous les assauts du « nordet » et leurs frondaisons frisent la surface du lac ; lorsque le soleil darde ses rayons au milieu de l’eau, la brise qui séjourne au fond de la coulée aime faire frissonner comme des muscles en fièvre les petites feuilles au revers gris de ces arbres ; alors, l’eau, miroitante, devient pareille à ces bancs de roches micacées que l’on aperçoit le long des rives de l’Ottawa ; elle allume sous le soleil, de véritables écrins. Si la brise, plus forte, agite davantage les remuantes ramilles, l’on dirait qu’une main invisible les secoue pour l’unique plaisir de distraire le petit lac de son calme obstiné. Aux pieds des bouleaux, des pins et des trembles, les rives, peu escarpées, sont fleuries ainsi que l’autel de l’église de Ville-Marie, le jour de Pâques ou de la Fête-Dieu. Le petit lac est comme ourlé d’une dentelle de pointes vertes et de fleurs aux corolles de toutes les couleurs. L’on y voit scintiller et trembler les petites étoiles d’azur des hédyotis à côté du jaune vif des imposants clajeux qui abritent, sem-