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LE FRANÇAIS

quand Léon Lambert, par un geste énergique, sauva le village de la destruction, s’étant tout à coup, par un prodige de transformation que l’on ne cherchait pas à s’expliquer, mué en un chef d’équipe commandant à tous les hommes, instinctivement, l’on fut fier que Léon fut un Français ; l’on eut, au contraire, éprouvé de l’humiliation, s’il eut été un Anglais. Le sang parla plus haut que d’indéracinables préjugés. De plus, l’on sentit qu’il y avait une supériorité en dehors du « pays de Québec » que l’on apprend depuis plus d’un siècle à mettre en avant de tous les autres, même dans les actions matérielles les plus secondaires de la vie journalière… Mais l’on ne fut pas fâché que cette supériorité vînt de la France.

Le feu avait pris naissance, vers neuf heures du matin, dans les abatis d’un colon, le long de la route de St-Isidore, à un mille et demi environ du village de Ville-Marie. L’air était calme et le feu tout d’abord ne fut pas menaçant encore que les flammes des immenses tas d’abatis se fussent vite attaquées aux premiers arbres de la forêt qui entourait comme d’un mur circulaire le morceau de terre neuve. Mais voilà que sur les dix heures, une forte brise de l’est se mit à souffler par rafales plus ou moins prolongées, puis en tempêtes. Le vent portait sur Ville-Marie. En un instant toute la partie de la forêt que longeait d’un côté, la route de St-Isidore, et de l’autre, le chemin des Quinze, formant une lisière d’un demi mille de largeur, fut prise et le feu se mit à courir dans la direction de Ville-Marie comme un torrent descendant